Accueilli avec des réactions mitigées lors de sa création en 2011, le tribunal criminel spécial se fait de plus en plus craindre par bon nombre de gestionnaires des fonds publics du fait de sa justice jugée « lente » mais certaine.
En 2011, la justice camerounaise s’est dotée d’un tribunal criminel dit « spécial » censé améliorer le jugement des affaires pénales du pays. En effet, la loi instituant la juridiction a été promulguée le 14 décembre de cette année avec l’objectif affiché de « mettre en place un dispositif de répression plus efficace et plus rapide pour donner plus de visibilité à l’action des pouvoirs publics » dans la lutte contre la corruption et les détournements publics, mais aussi de rendre son action visible tant sur le plan national qu’international. Devenu opérationnel en octobre 2012, l’instance a débuté sa première audience un mois plus tard avec l’affaire : Autorité aéronautique du Cameroun contre Ntongo Onguéné Roger et Yves Michel Fotso.
Compétences du tribunal criminel spécial
L’instance réprime les infractions de détournements de deniers publics à hauteur de 50 millions de FCFA au moins et des infractions connexes prévues par le Code pénal et les Conventions internationales ratifiées par le Cameroun. Parmi les infractions connexes, il y a la corruption, les infractions apparentées ainsi que d’autres manquements. C’est le cas du blanchiment des capitaux réprimé au niveau international. En effet, il s’agit des infractions qui portent atteinte aux intérêts de l’État.
En outre, le Tcs statue en premier et dernier ressort. En interdisant l’appel, la loi autorise néanmoins le pourvoi en cassation. C’est une voie de recours extraordinaire ouverte contre toute les décisions rendues en dernier ressort, qui permet à la partie ayant perdu le procès de porter l’affaire devant la Cour Suprême. Elle est tout de même sans effet sur la sentence prononcée, laquelle doit être exécutée malgré tout.
Critiques
Si plusieurs ont salué l’avènement de cette instance de justice, il n’en demeure pas moins qu’elle a fait et continue de faire l’objet de critiques par certains. En effet, ces derniers estiment que l’instance est devenue un instrument de règlement de comptes et d’élimination de potentiels adversaires politiques au prétexte de la lutte contre la corruption.
Par ailleurs, l’article 18 alinéa 1 de la loi portant création du Tcs qui prévoit la possibilité d’arrêt des poursuites en cas de restitution du corps du délit ne fait pas l’unanimité. Me Tchoumi avait indiqué en 2012 que c’est une régression par rapport à l’idéal de justice. « S’il y a abandon de charges contre les personnes ayant remboursé les sommes volées, c’est d’une certaine manière une prime aux détournements, dont ne bénéficient pas les personnes qui sont condamnées pour avoir commis des petits larcins. La restitution du corps du délit ne devrait pas effacer l’infraction ».
Succès du tribunal criminel spécial
Depuis la mise sur pied du Tcs, de nombreux hauts cadres de l’administration ont été auditionnés et emprisonnées pour certains. Auteurs présumés ou réels des détournements des fonds publics, le montant qui leur est demande s’élève en général en termes de milliards de Fcfa. Au-delà de la répression, la justice est également soucieuse du retour des fonds détournés dans les caisses de l’État. C’est ainsi que les chiffres de 2020 font état de plus de 181 milliards de FCFA récupérés dans les 225 arrêts rendus par la juridiction spéciale.
Le tribunal criminel spécial et l’affaire d’audition du Secrétaire général de la présidence de la République
L’une des affaires du tribunal criminel spécial qui a récemment fait couler beaucoup d’encre et de salive est inéluctablement celle impliquant le Secrétaire général de présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh. En effet, l’information a été relayée de prime abord par l’hebdomadaire Kalara, spécialisé dans les affaires juridiques. Le journal de Christophe Bobiokono a indiqué que le Sgpr a été auditionné dans le cadre de l’enquête sur la gestion des fonds Covid. Cette rumeur a fait polémique au sein des médias en particulier et de l’opinion publique en général, opposant soutiens et adversaires politiques de l’une des personnalités les plus puissantes de l’entourage du président Paul Biya. Ces derniers ont estimé que c’était « le début de la fin du règne » du Sgpr.
Plus tard, l’on a appris qu’en réalité, le ministre de la Justice, aurait obtenu du chef de l’État l’autorisation de faire parvenir un questionnaire à Ferdinand Ngoh Ngoh. Le document élaboré par le Parquet, sous le contrôle de la chancellerie, avait pour but d’obtenir du coordonnateur de la task force chargé de la gestion des fonds Covid, des informations sur les activités de ladite task force, dans un contexte où des soupçons de « malversations financières » planent. En effet, il était question de vérifier les instructions données par le président de la République en matière de lutte contre cette pandémie. Par conséquent, il n’a jamais été question d’une possible arrestation de l’homme-orchestre, pilier central dans le fonctionnement des institutions camerounaises comme plusieurs ont laissé entendre.
Des lors, l’on serait tenté de conclure que le remue-ménage constant autour des actions du Sgpr serait lié à ses « hautes fonctions » et donc son influence certaine qui est très loin de laisser les acteurs sociopolitiques et économiques de la vie nationale indifférent, surtout au moment où les batailles pour la succession montent en puissance.