La haine et les confrontations qui vont avec n’était donc partie que pour mieux rester ! Le constat, amer, voire lugubre, s’impose désormais comme une évidence niaise, alors que les particularismes d’ici et de là ne s’expriment plus qu’en termes de conflictualité, plus prosaïquement, en termes de volonté brutalement affichée et rageusement assumée des uns de faire mordre la poussière aux autres, et inversement.
Jadis engagées à l’échelle mondiale, dans un pacte de non-agression de fait au point de s’entendre pour ne plus régler leurs divergences que par « téléphone… rouge », donnant ainsi le ton d’un modus vivendi planétaire basé sur le postulat que les uns avaient autant que les autres le droit d’exister malgré leurs désaccords doctrinaires ou idéologiques, les deux grandes puissances (issues de ce que l’humanité espère être toujours la 2nde guerre Mondiale et non la 2ème Guerre Mondiale – nonobstant le danger qui ne parait plus si éloigné d’une troisième -), sont passées à autre chose : le chaos total !
« Paix impossible, guerre improbable » ! Titre du premier chapitre de son ouvrage « Le grand Schisme » paru en 1948, ce diptyque sur fond d’aphorisme du philosophe, sociologue et journaliste français Raymond qui, non seulement marqua les relations internationales entre le début de la Guerre Froide en 1947 et sa “fin” avec l’effondrement du bloc communiste à partir de 1989 suivi de la désagrégation finale de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (ex-URSS) en 1991-1992, mais constitua également le mode opératoire des relations entre Etats, d’une part, et d’autre part entre communautés au sein des Etats, a été depuis lors relégué aux calendes grecques. C’est désormais à qui criera le plus haut son désamour pour l’autre, son envie d’en découdre. Même si, par pure convenance et non par principe, certains s’abstiennent encore de franchir le rubicond de la proclamation de la haine.
On l’a vu encore avec cette guerre injustifiée et injustifiable tant sur le plan moral que stratégique, mais surtout humainement, financièrement et matériellement coûteuse, que la Russie mène (contre l’OTAN ?) en Ukraine. Les menaces itératives de cette même Russie, première puissance nucléaire mondiale, de faire usage de la plus redoutable des armes contre ses adversaires (de l’OTAN ?) et les répliques dites “défensives” de l’OTAN, sans oublier la faim qui s’est abattue sur le monde depuis lors participent de la même veine destructrice à l’échelle mondiale induite par le refus des uns de souffrir les autres, rendant dès lors probable la guerre, tandis que comme depuis toujours, la paix reste une impossibilité catégorique.
Les risques du discours de la haine : le cas du danger qui guette le Cameroun
Mais plus près de nous, pour ne pas dire chez nous au Cameroun, on le voit davantage avec la montée depuis une trentaine d’années, des particularismes qui, pour compréhensibles qu’ils puissent être, n’en revêtent pas moins, par certains de leurs aspects, un caractère haineux tendant à les criminaliser.
Comment comprendre en effet qu’après trente ans d’une laborieuse et non moins exaltante construction de la nationalité camerounaise entre l’indépendance en 1960 et l’avènement en 1991 du pluralisme politique -synonyme de libération de la parole jadis confisquée par les tenants du pouvoir-, des Camerounais, au rang desquels ceux à qui l’on contesterait difficilement le statut d’élites (intellectuelle ou politique, notamment) se soient découverts des talents d’acteurs attitrés du tribalisme et de chantres de la haine tribale, excellant dans les discours de haine au point de vouloir réinventer les critères de la République qui devrait alors cesser, à leur sens, d’être « la chose de tous », la « res publica », pour devenir de petits balkans communautaires où s’expriment véhémentement de micro-nationalismes extrêmement violents.
Récemment, par exemple, l’universitaire Claude Abé, enseignant à l’Université Catholique de Douala, puisant dans le discours de de la catégorisation et de la stigmatisation de « l’autre » qui structure le débat sociologique au Cameroun a cru devoir signifier à ses compatriotes originaires de la région de l’Ouest réputés très entreprenants et prospères en affaires, selon leurs admirateurs, ou plutôt réputés –selon leurs contempteurs- très affairistes, expansionnistes, ne lésinant sur aucune manœuvre déloyale pour tirer leurs marrons du feu dans les affaires, et pour comble, très portés vers la migration vers tous les cieux affichant la promesse de la fortune à l’instar des villes portuaires ou commerciales, ce qui suppose selon l’éminent universitaire le délit d’expansionnisme, que ceux-là, c’est-à-dire les ressortissants de l’Ouest, devraient rester chez eux à l’Ouest et ne plus envahir les autres, car chacun a un chez soi. Sous entendu, il ne faut plus envahir l’espace vital de l’autre pour y faire fortune. Pour la gouverne des non Camerounais, le ressortissant de la région de l’Ouest est présenté par certains porte-parole autoproclamés des tribus dites “minoritaires” comme ceux qui, par le simple fait de leur activisme débordant dans les affaires, empêchent leurs “victimes” de prospérer à leur tour.
De quoi le discours stigmatisant de Claude Abé et l’exégèse communautariste de Dieudonné Essomba sont-ils le nom ?
Dans cette démarche discursive dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle entame fortement tous les espoirs de coexistence fondés sur le semblant de vivre ensemble qui permettait encore aux Camerounais de ne pas en découdre une fois pour toutes, le Professeur Claude Abé a été suivi par un autre intellectuel, dont la parole porte, en la personne de l’ingénieur-statisticien Dieudonné Essomba, dont le propos, fut-il déclamé sur les plateaux d’une chaine de télévision considérée comme un média propagateur de haine tribale, est très souvent empreint de beaucoup de bon sens. Celui-ci, comme s’il était en mission commandée de retournement du canif dans la plaie, s’est mis en tête de faire l’exégèse du propos incandescent du premier, membre comme lui de la même ethnie Ekang dont les ressortissants pourtant manifestement désireux de vivre en parfaite harmonie avec leurs compatriotes (venus) de toutes les contrées, proches ou lointaines, subissent le matraquage systématique exercé sur leur subconscient par leurs élites en mal de positionnement dans le but de les pousser à détester les “allogènes ” qui viennent faire fortune sur [leurs] terres au détriment de leurs fils qui ne se réveilleront que très tard, lorsque les envahisseurs venus de la région de l’Ouest auront raflé toutes les terres.
Dans son exégèse du discours abéen, Dieudonné Essomba révèle à celui qui aurait eu la malencontreuse idée de bien saisir les nuances haineuses du discours de Claude Abé, que celui-ci n’est pas un haineux, encore moins un antirépublicain, mais juste un “réaliste” qui a le courage de rappeler à la conscience collective qu’aucune République ne saurait tenir face au communautarisme. Que c’est la République qui doit plier face à la communauté, et non l’inverse. Bref, que la République et ses lois, dont la Constitution, ne peuvent pas contraindre la communauté mais redouter que de guerre lasse, celle-ci passe à la vitesse supérieure et chasse les intrus sur ses terres…, rendant donc possible cette guerre civile qu’à force de conjurer, le Cameroun et les Camerounais ont fini par croire définitivement impossible.
Il reste pourtant bien entendu qu’en temps normal, c’est-à-dire que si les intellectuels Claude Abé et Dieudonné Essomba que l’auteur de ces lignes n’osera pas qualifier d”intellectuels ekang”, n’auraient pas développé de telles arguties, s’ils n’étaient obnubilés par la haine, si dans leur esprit désormais envahi par la haine de l’autre, le tribalisme n’avait pas pris le dessus sur la notion de République, celle-ci étant le creuset par excellence du vivre ensemble ! Hélas !
(*) Plus prosaïquement, la situation pourrait être schématisée de la façon suivante : Autrement dit, parce que tu te lèves tôt pour aller vendre de menu marchandises, ou offrir tes services de manutention au premier venu en échange de l’argent, tandis que je nourris l’ambition plus grande de faire de longues études scolaires et universitaires qui m’ouvriront les portes de la fonction publique (magistrature, douanes, administration préfectorale, police…) tu es mon ennemi, mon empêcheur de prospérer en rond si à la fin de mes études, tu as déjà accumulé un pactole te permettant d’acquérir auprès de mes parents, à prix d’argent, bien sûr, un vaste domaine sur lequel tu as construit un somptuaire empire commercial, ainsi qu’une luxueuse résidence, t’est casé avec une épouse qui t’a donné des enfants, tandis que moi, au même âge que toi, j’entame une prestigieuse carrière de fonctionnaire dont les études y conduisant ont été financées grâce à l’argent que tu as versé à mes parents pour obtenir ton terrain.