Célestin Tawamba à travers une lettre adressée à ses partenaires européens propose des solutions pratiques pour réduire l’impact négatif des sanctions infligées à la Russie sur l’Afrique.
« Monsieur le Président,
Je m’adresse à vous dans la mesure où vos responsabilités vous autorisent à porter au plus haut des instances internationales notre message, celui de l’Afrique profonde, en ces temps tourmentés où l’inimaginable – cette guerre sur le sol européen – se déroule sous nos yeux et où la décision d’embargo à l’encontre de la Fédération de Russie a des conséquences majeures sur nos économies africaines.
Comme vous en avez certainement conscience, la guerre en Ukraine et l’embargo qui lui est adossé vont durablement affecter le continent africain, déjà confronté à des difficultés structurelles et conjoncturelles chaque jour plus lourdes à supporter pour des populations meurtries et des entreprises de plus en plus fragilisées. En effet – faut-il le rappeler –, la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a occasionné une nouvelle récession des économies africaines et mis à mal les progrès durement réalisés en matière de réduction de la pauvreté sur notre continent. Avec un effondrement du tourisme et une chute brutale des exportations – notamment celles des hydrocarbures –, cette pandémie a fait basculer des millions de personnes dans l’extrême pauvreté, créant autant de nouveaux pauvres et d’individus menacés par la famine et la sous-alimentation.
La guerre en Ukraine et l’embargo contre la Russie viennent perturber le fragile équilibre alimentaire mondial, chamboulent les circuits de l’énergie, compromettent les efforts déjà insuffisants en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et ne peuvent qu’exacerber la précarité de nos pays, déjà caractérisés par de nombreuses vulnérabilités.
38 millions de victimes collatérales en Afrique
Cette guerre n’est pas celle de l’Afrique. Alors qu’elle n’y est pas partie prenante, l’Afrique est le continent qui en subit les dommages collatéraux les plus importants aux plans humain, social et économique. Elle les subit d’autant plus que la plupart de nos pays, faute d’amortisseurs ou de dispositifs d’amoindrissement des effets induits de ce choc comme dans les pays de l’OCDE, ne bénéficient que d’une marge de manœuvre minime. Contraint de subir sans pouvoir réagir, le continent en est ainsi réduit à faire accepter l’inacceptable aux populations. C’est là, me semble-t-il, que le bât blesse.
A lire aussi : Canal+ fête ses 30 ans d’existence
La France et les pays de l’Union européenne doivent prendre leur part de responsabilité. En raison d’un environnement macroéconomique dégradé, nos économies ont peu de marge de manœuvre permettant de venir en aide aux populations. En déclarant, lors du Sommet de Versailles d’avril dernier, que « l’Union européenne doit redéfinir une stratégie alimentaire à l’égard de l’Afrique, sans quoi plusieurs pays seront touchés par des famines dans les douze à dix-huit prochains mois », vous avez admis que la situation pourrait bientôt devenir intenable. Selon les estimations récentes du cadre harmonisé sur l’insécurité alimentaire en Afrique, 38 millions de personnes pourraient être les victimes collatérales en matière alimentaire de la guerre Russie-Ukraine.
Les prix record des matières premières énergétiques et agricoles, à l’instar du blé, du maïs ou des engrais, vous le savez, sont particulièrement préoccupants pour notre région. Pour le blé, à titre d’exemple, les importations représentent environ 85 % de l’approvisionnement, dont un tiers provient de Russie ou d’Ukraine. À cet égard, ce sont tout de même 16 pays regroupant 40 % de la population du continent, soit 374 millions d’habitants, qui dépendent à 56 % et plus du blé russe et ukrainien. C’est considérable !
Des choix douloureux à faire
Nous vous demandons, en votre qualité de président du Conseil de l’UE, de convoquer dans l’urgence un sommet extraordinaire réunissant d’une part des dirigeants de l’UE et d’autre part des dirigeants de l’UA, ainsi que des membres de la société civile africaine et du secteur privé africain.
Le bien-fondé de ce sommet tient à l’urgence alimentaire, elle-même nourrie par un environnement inflationniste propice à l’apparition de tensions sociales et politiques. La rencontre, qui pourrait se tenir en terre africaine – pour en ajouter à la symbolique –, aurait pour objectif de définir les mesures d’accompagnement des pays africains en vue d’une sortie de crise à court terme et, d’un autre côté, d’engager la réflexion sur une organisation efficace des politiques agricoles, incluant la modernisation du secteur et la promotion de l’agro-industrie et des produits locaux.
De manière globale, et dans la poursuite de nos objectifs communs de paix, de sécurité et de stabilité, dans le plein respect du droit et des conventions internationales, il y aura des choix douloureux à faire de la part de nos partenaires de l’UE, qui entraîneront des diminutions de dépenses pour un certain type d’équipements et l’augmentation corrélative des investissements en faveur de la construction de la paix via le développement de nos pays en construction.
C’est un changement de cap qui doit être mis en perspective car, par la proximité géographique et les liens historiques qui nous unissent, la sécurité de l’Europe dépend étroitement de la sécurité de l’Afrique, et inversement.
Ensemble, nous avons le devoir d’agir pour éviter que la jeunesse africaine ne ploie sous la famine et ne soit tentée par une aventure sans lendemain ou séduite par les sirènes des nouvelles chapelles idéologiques.
Dans cette perspective, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de ma parfaite considération.»
A lire aussi : Résultats 23e journée MTN élite one