– Fin décembre 2020, Shandong Gold, le deuxième plus grand producteur d’or de Chine, a bouclé le rachat de l’australien Cardinal Resources, actif au Ghana sur le projet d’or Namdini. Au terme d’une rude bataille de plusieurs mois avec le russe Nordgold, l’entreprise chinoise a déboursé des centaines de millions de dollars pour prendre le contrôle de Cardinal et ipso facto d’un des projets aurifères les plus prometteurs. Le bras de fer qui a conduit à cette acquisition reflète bien la stratégie, pleine de détermination et sans bruit, qu’utilise la Chine pour élargir son empreinte sur le secteur minier africain, essentiel à son industrie. L’empire du Milieu, au même titre que les Occidentaux, s’érige aujourd’hui en véritable colon du sous-sol africain.
Des milliards de dollars pour plus de ressources
Pour acquérir le projet d’or ghanéen Namdini, Shandong Gold a dû mener une lutte acharnée avec le géant russe Nordgold qui a augmenté à plusieurs reprises son offre pour racheter Cardinal Resources. La bataille s’est transformée en enchères qui ont valorisé la société australienne, à un moment, à plus de 400 millions de dollars. Si le cours de l’or qui a grimpé pour atteindre des records historiques en 2020 justifie ce bras de fer, l’autre leçon à tirer est que les Chinois ne manquent pas de détermination pour bien se positionner sur des ressources minérales stratégiques en Afrique.
Ghana : Shandong arrache la mine d’or Bibiani face au géant russe Nordgold.
En effet, avant Shandong, plusieurs autres compagnies chinoises ont animé l’actualité minière africaine par des prises de participations minoritaires ou majoritaires, des rachats, ou encore des accords de prélèvements. Ainsi, toujours en décembre 2020, au Ghana et sur l’or, le groupe chinois Chifeng Jilong Gold Mining a mis dans son giron le projet aurifère Bibiani suite à une transaction de 105 millions $ avec l’australien Resolute Mining.
China Molybdenum s’offre la mine Kisanfu en RDC pour 550 millions $.
Dans le même mois, une autre grande compagnie chinoise, China Molybdenum, a débloqué 550 millions de dollars pour acquérir auprès de l’américain Freeport-McMoRan, le projet de cuivre-cobalt Kisanfu en RDC.
Dans le même mois, une autre grande compagnie chinoise, China Molybdenum, a débloqué 550 millions de dollars pour acquérir auprès de l’américain Freeport-McMoRan, le projet de cuivre-cobalt Kisanfu en RDC.
Pour renforcer son empreinte sur le cobalt, la société envisage des synergies entre le projet et son actif phare dans le pays, la mine Tenke Fungurume. Cette dernière, rappelons-le, a également été acquise quelques années plus tôt (en 2016) à 2,65 milliards $ auprès du même Freeport-McMoRan, dans un deal qui a fait l’objet d’un litige avec la compagnie congolaise Gécamines. Des années plus tard (en 2019), China Molybdenum a également conclu un accord avec le fonds sino-américain BHR pour accroître à 80% ses intérêts dans la grande mine de cuivre et de cobalt pour 1,14 milliard $.
Chinalco détient 40% des blocs 3 et 4 de Simandou en Guinée.
Tous ces gros investissements ne doivent pas faire oublier d’autres prises de participations survenues des années plus tôt. Chinalco détient par exemple 39,95% d’intérêts dans les blocs 3 et 4 du méga projet de minerai de fer Simandou, en Guinée. La compagnie chinoise a voulu en octobre 2016 prendre le contrôle total de l’actif en rachetant les intérêts de son partenaire Rio Tinto, mais la transaction a été annulée en octobre 2018. En RDC, le canadien Ivanhoe Mines vit une véritable idylle avec son partenaire chinois Zijin Mining sur le grand projet Kamoa-Kakula. Pour acquérir 49,5% de participation dans la filiale qui gère le projet, Zijin Mining a dépensé en 2015, 412 millions $.
Une croissance époustouflante
Selon les données de plusieurs sources concordantes, les investisseurs chinois ne contrôlaient qu’une dizaine de projets d’exploitation minière en Afrique en 2011. Ce chiffre est passé à près d’une trentaine en 2018, et au vu des nouvelles acquisitions de ces derniers mois, il a encore évolué. Si on ajoute à cela les projets d’exploration, on commence par prendre la mesure de la vitesse à laquelle croît la présence de la Chine dans le secteur minier africain.
L’intérêt de Pékin pour les ressources minérales du continent africain est motivé, d’une part, par sa forte croissance continue dans les secteurs de l’électricité, de la construction, de l’industrie, ou encore de l’électronique et de l’automobile ; et d’autre part, par la diminution de sa capacité de production minière locale d’année en année, en raison de la baisse des teneurs en minerai, de l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre et d’un environnement réglementaire plus strict. Pour la Chine, qui importe chaque mois pour environ 4 milliards de dollars de minéraux, de minerais et de métaux, selon les données de Trading Economics, faire de l’Afrique une cible prioritaire va donc de soi.
Pour la Chine, qui importe chaque mois pour environ 4 milliards de dollars de minéraux, de minerais et de métaux, selon les données de Trading Economics, faire de l’Afrique une cible prioritaire va donc de soi.
Déjà reconnu comme une grande source d’approvisionnement pour plusieurs minéraux, le continent séduit encore plus ces dernières années par les découvertes de matières premières stratégiques que son sous-sol héberge en grande quantité, et qui sont essentielles pour le monde industriel de demain.
Les investisseurs chinois n’hésitent plus à investir des centaines de millions de dollars pour prendre le contrôle de grands projets miniers africains.
Que ce soit le nickel, le lithium, le cobalt, ou encore les métaux du groupe du platine, plusieurs minéraux critiques font partie des richesses africaines qui attisent les convoitises. Mieux, il existe un fort potentiel pour de nouvelles découvertes, car le sous-sol africain est relativement sous-exploré ; ce qui augmente l’attrait du continent pour un pays comme la Chine.
La stratégie chinoise
Il y a quelques années, la présence chinoise dans le secteur minier africain se limitait à des prises de participations minoritaires dans des projets. Mais aujourd’hui, le constat est que la donne a beaucoup changé. Les investisseurs chinois n’hésitent plus à investir des centaines de de millions de dollars pour prendre le contrôle de grands projets miniers, même ceux qui ne sont pas encore en phase d’exploitation.
« Au début, leur stratégie consistait à repérer des mines qui avaient des problèmes, qui avaient fermé : ils arrivaient avec des capitaux, et essayaient de les relancer, à bas coût. Mais ces dernières années, cela a évolué, nous savons qu’ils sont intéressés par des actifs ayant plus de valeur », explique Patrick Mawire, associé d’Ernst & Young en Zambie, dans des propos relayés par RFI.
La Chine a déjà réservé la totalité de la production de lithium de Manono en RDC.
Au-delà des acquisitions, la Chine utilise également d’autres formes d’accords miniers, en l’occurrence des investissements pour la construction d’infrastructures pour le transport de minerai, des coentreprises, des investissements indirects ou encore des accords de prélèvement. A titre d’illustration de ce dernier point, si le projet de lithium congolais Manono est considéré comme l’un des plus prometteurs du secteur, deux sociétés chinoises se sont déjà positionnées pour s’assurer l’exclusivité de sa future production.
Si le projet de lithium congolais Manono est considéré comme l’un des plus prometteurs du secteur, deux sociétés chinoises se sont déjà positionnées pour s’assurer l’exclusivité de sa future production.
Le propriétaire AVZ Minerals a ainsi annoncé plus tôt, en ce mois de mars 2021, avoir conclu un accord pour vendre une partie de la production au groupe chinois Shenzhen Chengxin Lithium, l’un des principaux producteurs mondiaux d’hydroxyde et de carbonate de lithium.
Quelques mois plus tôt, elle a signé le même type d’accord avec GFL International, filiale du producteur chinois de matériaux pour batteries électriques, Ganfeng Lithium.
Le message de China Daily aux Africains.
Le sous-sol africain est devenu un gâteau convoité par tout le monde et en premier lieu par la Chine. Si les entreprises chinoises ne sont pas encore aussi grandes que les géants occidentaux que sont BHP Billiton, Rio Tinto ou encore Glencore, elles ont l’avantage d’être soutenues pour la plupart par l’Etat chinois qui détient des participations dans leur capital-actions. Ainsi, on peut parler de réelle volonté de conquête du secteur minier africain par le gouvernement chinois, dont le but premier est de sécuriser les ressources minérales vitales à ses activités industrielles. L’empire du Milieu a lancé ses entreprises à l’assaut des richesses minières en Afrique et, pour faciliter leur développement sur le continent, multiplie les sommets et rencontres diplomatiques avec les Etats africains.
L’empire du Milieu a lancé ses entreprises à l’assaut des richesses minières en Afrique et, pour faciliter leur développement sur le continent, multiplie les sommets et rencontres diplomatiques avec les Etats africains.
Toutes les conditions sont remplies pour que l’investissement chinois dans le secteur minier africain continue de croître à une vitesse fulgurante dans les prochaines années. Les Etats du continent noir semblent trouver leur compte dans ce partenariat présenté par les deux parties comme gagnant-gagnant. Et comme la Chine a les moyens financiers de ses ambitions de conquête, elle pourrait bien devenir d’ici quelques années, propriétaire de la majeure partie du sous-sol africain.
Louis-Nino Kansoun
Source : Agence Ecofin